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[Note de Cornelia : ce texte reproduit une partie de ma correspondance avec Margot sur environ 15 jours vers fin mars-début avril 2004]
Alexandre est né un beau jour de mai 1979 à Troyes. Mais moi, Margot, je
suis née il y a peu : le Dimanche 04 avril 2004. Je me suis toujours sentie
différente des autres sans savoir vraiment en quoi. La prise de conscience de
ma transsexualité ne remonte qu'au mois de septembre 2003 (avec l'aide
d'Alexandra et de Cornelia de STS). Mais très vite le dégoût de moi-même et
mon sentiment de culpabilité m'ont entraînée au fond d'un gouffre bien
sombre. Si aujourd'hui je ne suis pas dans le tiroir anonyme d'une morgue et que
je peux témoigner, c'est grâce à Cornelia avec qui je corresponds
régulièrement par e-mail depuis septembre 2003.
Au lieu de raconter toute mon histoire, j'ai préféré sélectionner des
passages de ma correspondance avec Cornelia, qui racontent ma naissance dans la
douleur. Ces extraits relatent mon premier SOS (SOS signifie Save Our Souls...)
désespéré fin mars 2004 au cours de ma rapide descente aux enfers jusqu'au
coming-out auprès de mes parents le 04 avril 2004.
Chère Cornelia,
[...] Je vous écris parce que j'ai encore besoin de vos conseils et de votre
réconfort. Depuis quelque temps je vais de plus en plus mal moralement et
psychologiquement. Je ne me sens plus bien dans ma peau et j'ai une attitude de
plus en plus autodestructrice : Il y a quelques mois seulement j'ai bien failli
gâcher mes examens de fin de semestre alors que ce n'aurait dû être qu'une
simple formalité.
À la même époque, au cours d'une dispute avec mes parents (disputes qui ont
tendance à se multiplier), ils ont voulu en savoir un peu plus sur mon attitude
"étrange", pensant que je suis gay ou un vulgaire 'travelo'. J'ai
l'impression de tout gâcher, car comme une conne, je ne leur rien ai dit du
tout, alors que c'était peut-être l'occasion ou jamais de leur parler de ma
transsexualité. Depuis le début de mon stage de diplôme, je m'impose des
cadences de travail infernales (entre 10 et 14 heures par jour, week-ends
compris), ce qui commence à inquiéter sérieusement ma tutrice de stage. Je
sais parfaitement que je ne pourrai pas continuer longtemps à ce rythme-là. Il
y a quelques jours, j'ai fait une tentative de suicide, et il s'en est fallu de
très peu pour qu'elle réussisse. J'en pense qu'il devient urgent de commencer
ma transition. [...] J'ai peur. [...]
Sur le point de craquer ?
Chère Cornelia,
Je te remercie pour ta réponse qui m'a remonté le moral. Pour ce qui est de
faire mon coming-out, ça va être très difficile, pour deux raisons : La
première est que je suis en stage de fin d'étude à plus de 600 km de chez mes
parents pour les 5 prochains mois, je me vois mal annoncer ma transidentité au
téléphone. La seconde c'est que j'ai très peur, je suis une fille de nature
très réservée et timide. J'ai peur qu'il ne réagissent mal et que ça ne les
blesse. J'ai peur de ne pas être prise au sérieux et qu'il me conduisent de
force chez un psychiatre. Je pense que discuter avec un psychologue ou un
psychiatre avant, ce serait d'une certaine façon une preuve que je ne fais ni
une lubie ni une provocation de ma part. [...]
Chère Cornelia,
Ce que je regrette c'est de ne pas avoir été capable de tout leur déballer
avant de partir en stage, en particulier au cours ma dernière dispute avec ma
mère, où elle a fait très clairement allusion à ses inquiétudes vis-à-vis
de mon comportement "étrange". J'ai très peur de craquer moralement
quand je vais appeler mes parents dimanche soir pour prendre de leurs nouvelles.
Non, mais j'ai peur de souffrir encore plus. [...]
[...] Mais c'est l'idée que mes parents préféreraient me croire folle plutôt
que de m'accepter telle que je suis qui me dérange. Je passe de plus en plus de
temps en femme. D'un côté ce n'est pas évident, car je suis en stage de fin
d'études d'ingénieur (donc beaucoup de travail). Mais je multiplie les sorties
en femme autant que possible, c'est d'autant plus facile que je ne suis plus
chez mes parents pour les 6 prochains mois et que j'habite dans une ville ou
personne ne me connaît (donc un peu moins de culpabilité). Je suis arrivée à
un stade où quand je me regarde nue dans une glace, mon corps me dégoûte
totalement. Et d'un autre côté, lorsque je me regarde en femme sur mes photos
et dans une glace, je suis contente, car c'est plus une image qui correspond à
mon moi intérieur, mais je suis aussi malheureuse car cette image est pour moi
obtenue par trucage (perruque, faux seins...), donc ce n'est pas totalement moi.
Pour moi, il me paraît donc clair que dans l'immédiat, le traitement hormonal
est une étape incontournable pour vraiment être en paix avec moi-même, tout
comme à plus long terme l'opération. [...]
[...] Je trouve qu'il est temps qu'Alexandre s'efface pour permettre à Margot
de prendre son envol.
Chère Cornelia,
En ce Lundi (05 Avril 2004), c'est une Margot plus épanouie et plus libre qui
t'écrit. Bien malgré moi j'ai fait mon coming-out auprès de ma mère. Comme a
son habitude, elle m'a appelée dimanche soir, elle s'est vite rendu compte au
son de ma voix que ça n'allait pas, j'ai donc décidé d'être honnête et de
lui dire que je n'avais pas le moral. Tout de suite elle s'inquiète et me
demande si c'est mon stage qui se passe mal. J'ai tenté de la rassurer en lui
disant que mon stage se passe très bien et que mon malaise vient d'un problème
plus personnel.
Je me rends compte rapidement de mon erreur, et maladroitement, je luis dis que
je ne me sens pas prête à lui en parler. Deuxième erreur, je sens au son de
sa voix qu'elle est très inquiète, je me rends compte que si je ne lui dis
rien, je vais la faire souffrir, et que depuis des semaines, elle attend avec
désespoir de comprendre mon comportement étrange.
Je craque, je fonds en larmes, mais j'arrive à rester calme. Je décide d'y
aller progressivement, je fais donc allusion à la dernière 'découverte'
qu'elle à faite dans ma chambre (il y a quelques mois, elle à trouvé une
partie de ma garde-robe de femme) et je lui demande ce qu'elle en pense. Elle me
répond qu'elle nage dans le brouillard. Alors je décide de faire allusion à
notre dispute avant mon départ en stage où elle m'a demandé si j'étais
homosexuel où en train de devenir un travesti. Elle s'en souvenait encore
parfaitement. Je lui dis que je suis ni l'un ni l'autre. Ce qui la surprend, je
lui explique que je me suis toujours sentie différente des autres garçons, que
dans ma tête je me sens plus fille que garçon. Ma mère me redemande alors si
je suis gay. Je lui réponds encore que non. Elle reste calme et finit par me
demander si je suis attirée par les filles et les garçons. Je lui réponds
qu'aucun des deux ne m'attire vraiment. Elle commence à s'inquiéter
sérieusement et je me rends compte que notre conversation prend une mauvaise
direction. Je finis par lui avouer que j'ai probablement un plus d'attirance
pour les garçons mais que je ne suis pas attirée par les homosexuels. Elle me
demande alors par quel type d'homme je suis attirée. Je luis avoue alors que
j'ai déjà eu des relations sexuelles avec des filles et avec des garçons et
qu'a chaque fois ça a tourné au désastre, notamment quand ils touchaient à
mon sexe. Elle m'écoute avec patience et calme. Je vois qu'elle à du mal en
comprendre, je lui redis que je me sens femme. Elle ne dit rien, je la sens
perdue et abasourdie. Je finis par dire le mot tant redouté, je lui dis
clairement que je suis transsexuelle.
Elle reprend pied, elle veut savoir depuis quand je suis transgenre et si sa
avait à rapport avec les 6 mois où j'ai été étudiante aux Pays-Bas. Je lui
explique que je me suis certainement sentie femme depuis toujours en lui
rappelant que c'est pour ça que j'ai besoin de m'habiller en fille, que j'ai
toujours été solitaire, distante des autres et incapable de me faire de vrais
copains où copines. Je lui avoue que je n'ai pris conscience que récemment de
ma transsexualité. Que c'est cette découverte, avec mon incapacité à lui en
parler, qui me torture depuis quelques mois, qui est à la source de mon
comportement désagréable. Je lui avoue avoir fait une tentative de suicide. Je
lui parle de mon rendez-vous que j'ai pris chez une psychologue.
Elle voit que j'ai la tête sur les épaules, elle se veut rassurante. Elle me
dit que je suis une adulte et que j'ai le droit de mener ma vie comme je le
désire. Mais elle m'a demandé d'être très prudente et réfléchie dans les
décisions à venir (comprendre le traitement hormonal et l'opération). Elle me
fait part des ses inquiétudes sur mon avenir, que la transsexualité peut
parfois être très difficile à assumer. Je fonds en larmes car j'ai fini par
comprendre que j'aurais pu lui parler de ma transidentité depuis longtemps, je
lui dis oh combien je regrette de ne pas avoir su lui le dire de vive voix, en
face, et que j'espère qu'elle ne m'en veut pas.
Elle me dit que ce n'est pas grave et me fait comprendre que le plus important
c'est qu'elle et mon père sachent où ils en sont, que je suis toujours leur
enfant et qu'ils vont juste avoir besoin d'un peu de temps pour faire la part
des choses. J'ai donc compris qu'elle parlerait à mon père, je n'ai pas tenté
de l'en dissuader car elle saura mieux lui présenter la chose que moi.
Comme tu vois, mon coming-out s'est bien passé. Certes j'ai versé des larmes,
mais elles étaient à la fois de tristesse et de joie. De tristesse pour ne pas
avoir eu cette conversation plus tôt et ne pas avoir eu confiance en mes
parents. De joie, car je viens de me libérer d'un très lourd fardeau...
Chère Cornelia,
Tu peux effectivement être contente pour moi, mais aussi fière de toi car si
j'en suis arrivée là, c'est grâce à tes conseils. Je pense que d'une
certaine manière tu m'as sauvée de la mort. Pour ça, je te serais toujours
reconnaissante, tu as été, comme dans tous les contes de princesses, ma bonne
fée.
Effectivement, j'envisage ma vie sous un meilleur et nouvel angle, mais il reste
encore des incertitudes. Mais je sais que dimanche, Alexandre est mort pour
donner naissance à moi, Margot, aux yeux de mes parents. Je me suis libérée
d'un très lourd fardeau, et quand j'ai repris mon travail lundi, ma tutrice de
stage a remarqué mon étrange bonne humeur et ma donc demandé ce que j'avais
bien pu faire ce week-end. Je lui ai répondu que ce week-end , je me suis juste
contentée de remettre un peu d'ordre dans mes affaires, ce qui est, d'une
certaine façon, la vérité.
Je sais que mes parents vont avoir beaucoup de questions à me poser dans les
semaines à venir. Je sais qu'ils vont attendre dimanche avec beaucoup
d'impatience, et avec crainte, les résultats chez la psychologue. Mais je sais
que je pourrai compter sur toi et ton association pour m'aider à répondre à
leurs questions et changer leurs idées reçues. Ils savent que j'étais en
contact avec ton association depuis quelques mois.
Mon rendez-vous chez la psychologue hier soir m'a laissé une impression
mitigée. Mais c'est vrai que ce n'était que le premier rendez-vous. Mais je
pense avoir trouvé une personne compréhensive. Elle a écouté attentivement
mon histoire, puis m'a avoué que j'étais sa première cliente transgenre et
qu'elle n'avait aucun pouvoir de prescription, ce dont je me doutais. Mais elle
semble avoir compris ma détresse et s'est dit prête à m'accompagner jusqu'au
bout de ma démarche en m'aidant à m'assumer en tant que femme : elle à donc
compris que je ne suis pas 'malade' et que je ne désire pas 'guérir' de ma
transsexualité. Je suis tentée d'accepter son aide et j'attends donc le
prochain rendez-vous le 19 avril (2004) pour voir si elle est vraiment sincère
et si elle peut vraiment m'aider. [...]
[...] Elle m'a aussi donné l'adresse d'un de ses collègues psychiatres qu'elle
pense suffisamment ouvert d'esprit pour accepter de m'aider. Je n'ai pas
l'intention de le contacter immédiatement. L'idée de voir un psychiatre me
fait un peu peur. Mais je pense aussi qu'il est inutile de le voir tant que je
ne me sentirai pas suffisamment épanouie et mûre, en particulier sur la
question du traitement hormonal et de l'opération. De plus j'ai peur de tomber
sur une personne un peu moins compréhensive où qui m'oriente vers les circuits
officiels et que je me retrouve à tourner en rond.
Pour ce qui est du traitement hormonal, au fur et à mesure de nos
correspondances, je prends conscience que l'utilité n'est pas d'ordre
esthétique mais psychique. Je sais que je n'aurai certainement jamais le
physique d'une bombe.
Mais je ne suis pas certaine d'être suffisamment prête à assumer tous les
changements apportés. Je me donne au moins jusqu'au mois d'août pour y
réfléchir. Pour l'instant, il est temps pour Margot de commencer à
s'épanouir et à passer plus de temps en société, et de changer ce qui peut
l'être en l'état : perdre les kilos en trop, avoir une meilleure hygiène de
vie et mieux prendre soin de mon corps (en particulier de ma peau), et étudier
le problème de l'épilation : je m'épile et rase déjà presque tout le corps
(pas facile le dos), mais je ne suis pas satisfaite du résultat, ça repousse
un peu trop vite à mon goût (je pense qu'il est temps de faire un tour de
côté des instituts de beauté). Je pense aussi me laisser pousser les cheveux,
ce qui devrait permettre de m'affranchir de la perruque et peut être de me
sentir un peu plus à l'aise pour sortir en public en femme. Pour ce qui est du
look androgyne, je verrai plus tard.
En bref, comme tu vois, tout va mieux pour moi. Le seul mal qui me pèse encore
sur l'âme est le rejet et le dégoût de mon corps et de mon sexe. [...]
À suivre...
© Support Transgenre Strasbourg, le 2 décembre 2007