J'ai toujours été transgenre (je ne me suis jamais sentie 'homme' de ma
vie, j'ai toujours été une copine et consœur tout à fait naturellement
acceptée par les femmes), et j'en ai pris conscience à 22 ans, en 1982 (mes
parents sont d'ailleurs au courant depuis cette date, et ça ne leur pose pas de
problème d'avoir une fille née fils).
J'ai ensuite vécu pendant environ deux ans publiquement dans un rôle social
féminin, sans exactement comprendre les mécanismes psychiques et sociaux que
je subissais (ce qui n'est guère surprenant, vu qu'à cette époque-là, il
manquait strictement toute information publiquement accessible sur la
transidentité, sans même parler de groupes d'entraide etc). Par la suite, je
suis passée par une période extrêmement sombre (j'en avais déjà subi
d'autres, et encore d'autres ont suivi, mais celle-là fut probablement la pire
de toutes), faite de dépressions, de psychoses horribles et de drogues dures
diverses prises dans le but de me suicider tout en me voyant mourir (j'ai
derrière moi une 'carrière' toxicomane de 21 ans, de mes 14 à mes 35 ans,
causée essentiellement par ce qu'on appelle la dysphorie du genre, donc le
malaise ressenti suite à l'écart constaté entre mon corps et mon âme).
En 1985, j'ai rencontré ma compagne, que j'ai informée de ma transidentité
dès les tout premiers instants de notre relation, et qui me soutient
entièrement et sans faille à ce jour. Elle a toujours été parfaitement
consciente de tout ce que cela implique (y compris qu'elle vivrait un jour de
fait en lesbienne en restant avec moi, ce qui a fini par arriver), je lui dois
énormément de choses.
Jusqu'en 1988, date à laquelle j'ai (enfin) commencé à travailler, ma vie
n'était néanmoins pas beaucoup plus joyeuse, et faite de peu de choses en
dehors de défonces diverses. Je ne vivais par contre plus 'en femme', non pas
parce que quelqu'un ou des facteurs sociaux m'y auraient forcée ou poussée,
mais parce que je réprimais ce désir, par une intuition que je ne saisis
toujours pas très bien à ce jour. En 1988, j'ai enfin pris mon indépendance
en commençant à travailler (la fac' me sortait depuis très longtemps par les
trous du nez, comme j'avais compris que la jolie image de la recherche
indépendante que j'en avais était une illusion suffoquée par l'esprit de
fonctionnariat et les coteries de petits-bourgeois mesquins qui y règnent, ce
qui était à mille lieues de ce que recherchais).
En commençant à travailler, ma situation sociale et psychique s'est un peu
arrangée, dans la mesure où je gagnais au moins ma vie au lieu de dépendre du
bon vouloir des autres. Mais je continuais à réprimer ma transidentité,
probablement parce que je sentais intuitivement qu'il me faudrait plus
d'indépendance sociale et personnelle pour la vivre réellement. En 1995, j'ai
racheté le commerce dans lequel je travaillais depuis le début, et du coup,
mon indépendance est devenue réelle. J'ai à cette occasion très vite
constaté que ma carrière dans la défonce (qui durait toujours) devait
obligatoirement se terminer rapidement et définitivement si je ne voulais pas
tout perdre sous peu. À l'été 1995, j'ai donc radicalement arrêté tout ce
qui restait de drogue dans ma vie, et j'ai mis deux bonnes annnées à
redescendre du nuage sur lequel je vivais depuis 21 ans, ce qui m'a d'ailleurs
fait très bizarre, comme je ne connaissais absolument pas la réalité de la
vie et du monde. En même temps, je travaillais beaucoup, même beaucoup trop,
au point de devenir presque ergomane ('workaholic', accro' au boulot), ce qui
était encore et toujours un réflexe de toxicomanie autodestructrice. J'ai eu
du mal à m'en débarrasser, car les réflexes de toxicomane restent à vie,
même s'ils s'atténuent. On n'efface jamais son passé, bien qu'on puisse
souvent le 'digérer' en quelque sorte et le convertir en quelque chose de
positif au présent.
En 1997, je me suis connectée à Internet, et j'ai très vite commencé à
l'utiliser pour satisfaire ce que je croyais être mes fantasmes transgenre, ne
comprenant que petit à petit qu'il ne s'agissait absolument pas de fantasmes,
mais que le besoin d'enfin vivre ma vraie identité (re)commençait à se
profiler, probablement parce que je lui permettais enfin à nouveau de
s'exprimer. J'ai assez rapidement pris contact, par Internet, avec d'autres
personnes transgenre, aux États-Unis d'abord, en Allemagne ensuite, j'ai
(re)commencé à vivre 'en femme' fin 1998 et à sortir 'en femme' en septembre
1999, à temps partiel d'abord, mais en allant de plus en plus clairement vers
le temps plein, et en juin 2000 j'ai fait la connaissance d'une autre femme
transgenre comme moi, qui vit à Strasbourg. Nous sommes souvent sorties 'en
femmes' ensemble, surtout du côté allemand de la frontière, comme nous y
connaissions chacune du monde, et j'ai peu après fait la connaissance d'une
autre 'consœur' strasbourgeoise, Alexandra,
qui était alors en train de découvrir sa véritable identité. Nous sommes
toujours très proches à ce jour.
Pendant ce temps-là, je vivais depuis quelques années, en particulier depuis
ma période quasi-ergomane de trois ans, des problèmes de santé qui allaient
lentement mais constamment crescendo, et dont je ne savais pas trop dire à quel
degré ils étaient d'origine physique ou psychique respectivement (disparition
de toute libido, dépressions régulières et cycliques, insomnies, stress
permanent, problèmes croissants de peau et d'ongles, de nutrition etc). En mai
2000, à la faveur de la prise de sang annuelle de routine, j'ai demandé à mon
médecin d'également faire analyser mon taux sanguin de testostérone, car je
soupçonnais un problème de ce côté-là, et effectivement : j'avais un taux
de testostérone sérieusement déficient pour un corps mâle. Dès lors, une
seule possibilité de traitement, la substitution hormonale. Et la 'logique'
biologique aurait évidemment voulu que je substitue de la testostérone, mais
mon âme féminine refusait bien sûr toute masculinisation additionnelle de mon
corps, dont la masculinité déjà présente me pesait de plus en plus. Comme
entre-temps je m'étais abondamment informée, je savais très bien qu'une
substitution aux hormones femelles transformerait infailliblement mon corps
(idée qui me plaisait, bien sûr) et me forcerait obligatoirement à vivre
définitivement ma féminité à plein temps, autant en privé qu'en public,
donc à passer d'un rôle sexué social à un autre, avec toutes les
conséquences que cela implique (et je n'étais pas encore décidée à franchir
ce pas). Je me suis laissé plus de six mois de réflexion, émaillés de
quelques essais de substitution hormonale autant du côté mâle que du côté
femelle (c'est ainsi que j'ai d'ailleurs constaté que la testostérone m'est
insupportable même physiquement), afin d'être sûre de ne pas courir de
risques sanitaires insensés en commençant un traitement substitutif (je suis
une grande allergique atopique de nature). Pendant ce temps-là, je vivais de
plus en plus publiquement ma féminité, je commençais l'épilation définitive
au laser de mon corps en novembre 2000, et en janvier 2001, je pris la décision
de commencer ma substitution aux hormones femelles. Pendant environ un an, je me
suis fait croire à moi-même que ce n'était finalement qu'un choix dicté par
une nécessité médicale (car je ne ressentais pas vraiment le besoin
impérieux de faire ma transition sociale définitive, alors que ce besoin est
caractéristique de beaucoup de personnes transgenre), mais j'ai fini par
comprendre que même sans cette indication médicale, ma décision n'aurait
été différée que de peu, car mettre enfin en harmonie mon corps et mon âme
était vraiment devenu une nécessité.
Enfin, depuis début 2002, je vis publiquement dans le rôle social féminin 24
h sur 24, aussi au travail, et ça se passe très bien, bien mieux que je ne le
pensais en prenant ma décision.
Entre-temps, j'ai créé, depuis mai 2002, ensemble à mon amie transgenre Alexandra,
un groupe d'entraide et de support pour personnes transgenre, d'abord par un site
Web, ensuite aussi dans la 'vraie vie'. Nous avons activement participé aux
Semaines et Marches de la
Visibilité Homosexuelle, Bisexuelle et Transgenre de Strasbourg en 2002 (la
toute première dans l'histoire de la ville), 2003 et 2004, ce qui nous a permis
de gagner un considérable impact militant social et médiatique, et de faire
ainsi avancer la cause des transgenre. Nous effectuons beaucoup de travail
associatif pour nos confrères et consœurs, ce qui m'apporte une satisfaction réelle,
dans la mesure où je ressens le besoin d'aider les gens, de leur rendre ce que
d'autres m'ont apporté à une époque où j'en avais moi-même grand besoin.
Ma vie a beaucoup évolué, vers une voie qui est probablement enfin celle que
j'avais besoin d'emprunter. Et je me sens infiniment mieux dans ma peau que
jamais auparavant. Mais je suis bien entendu toujours la même personne
qu'avant, je suis probablement même plus moi-même que jamais je ne l'ai été
auparavant.
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© Support Transgenre Strasbourg, le 2 décembre 2007