L'anesthésie est sans conteste l'expérience qui m'a laissé le souvenir le plus marquant de mon séjour à la clinique. Mes souvenirs les plus récents d'une anesthésie générale remontaient à 1984. Evidemment, à cette époque (j'avais 10 ans), je n'ai pas vécu la chose avec une conscience d'adulte. A l'opposé, ce que j'ai ressenti le 24 novembre 2003 m'a laissé un souvenir très net qui a fait évoluer ma conception de la vie et de la mort de façon marquante. |
Avant mon opération, j'appréhendais l'anesthésie par-dessus tout. J'ai toujours haï cette perte de contrôle et cette suppression, même temporaire, de ma conscience.
Cependant, je continuais à considérer une anesthésie comme une mise en sommeil suivie, si tout va bien, d'un réveil, avec un risque de mourir avant de reprendre connaissance. Quelque part, cette conception de l'anesthésie la rendait moins étrange à mes yeux et me rassurait.
Mais mon ressenti récent m'a fait comprendre que mon état lors de l'anesthésie était bien plus proche de la mort, ou de la non-vie, que du sommeil.
Outre le 'souvenir' assez flou que je peux avoir de la période avant ma naissance, mon souvenir récent et étonnemment précis de mon anesthésie représente pour moi un état de néant en comparaison duquel le sommeil est un flot débordant d'activité, de pensées et de conscience.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, j'ai un souvenir extrêmement clair de la non-conscience et du néant. Formulé autrement, ce souvenir ressemble au souvenir de ma propre mort. Les conséquences de ceci sont importantes :
Tout d'abord, la conception que j'ai de
l'anesthésie générale a changé.
On meurt, puis si tout se déroule comme prévu,
l'anesthésiste nous ramène à la vie.
Cela signifie une chose : Si la mort clinique survient lors
de l'opération, on ne s'en rend pas compte et cela ne
change finalement rien de fondamental à notre
état. On ne ressuscite pas, c'est tout.
Mes deux arrêts cardiaques, que l'on m'a annoncés après l'opération, et le fait que j'étais à deux doigts d'y rester, m'ont fait prendre conscience du paradoxe suivant : Mourir pendant une opération sous anesthésie ne change rien pour la personne anesthésiée qui est en quelque sorte déjà morte.
Ensuite, le néant ne m'a pas laissé un mauvais souvenir. La non-conscience, et par déduction la mort ne me semblent pas des états si horribles que cela. Il n'y a ni souffrance, ni douleur, ni peine, ni angoisse. J'irai même plus loin en affirmant que, de mon point de vue, si je n'avais pas survécu à mes arrêts cardiaques, cela n'aurait pas été une mauvaise chose. La non-conscience est finalement quelque chose de très reposant et positif en comparaison de l'épisode anecdotique, futile et souvent pénible de notre passage dans le monde des vivants.
Quelques semaines après cette prise de conscience sur la mort, je me suis posé la question suivante : Si la mort est préférable à la vie, quelle force mystérieuse me retient de me tuer ?
Ma possessivité, très certainement : La vie est un état transitoire, une exception éphémère dans un océan de néant, et ma tendance à garder les choses le plus longtemps possible me pousse à prolonger ma vie au maximum, en dépit des souffrance qu'elle engendre car je sais que je n'en aurai pas d'autre.
Cette attitude possessive est certainement appelée à évoluer avec le temps ...
Je constate d'ailleurs que ces considérations nouvellement acquises sur la vie et la mort sont tout à fait dans la lignée de mon état d'esprit 'gothique'. Preuve, pour celles et ceux qui se poseraient des questions, que ce faisant, je ne joue pas juste un jeu en m'habillant de noir, mais que tout cela correspond à mon vécu réel.