Le genre est une notion bien étrange. Indispensable pour appréhender la transidentité, elle semble échapper à toutes les tentatives de définition, de telle sorte que chacun(e) s'en fait une idée différente. Je vais tenter à mon tour de la définir en affinant à chaque tentative ma définition. Bien sûr, toutes ces définitions ont leurs défauts que je vais également détailler.
Définition : Le genre et le sexe ne font qu'un.
Longtemps appliquée, jusqu'il n'y a pas si longtemps, et encore présente dans l'esprit de beaucoup de gens, cette définition nie l'existence d'un genre indépendant du sexe, et considère que l'identité d'une personne et sa place dans la société sont entièrement conditionnées par son sexe.
Avantages : Une part importante de la population ne trouve rien à redire à cette façon (idéologique) de voir les choses. Beaucoup d'hommes sont de sexe mâle, se sentent homme, et trouvent leur place dans le rôle que la société a attribué aux hommes. Il en va de même pour beaucoup de femmes.
Inconvénients : Certaines personnes ne trouvent pas leur place dans cette idéologie binaire : les personnes transgenre qui ne s'identifient pas à leur sexe et encore moins au rôle social qui lui est associé, mais aussi un nombre croissant de femmes qui refusent le dogme phallocrate qui voudrait qu'elles soient destinées par leur sexe à faire le ménage, la cuisine et à élever les enfants. Qui plus est, rien ne justifie qu'une personne doive se sentir homme et jouer un rôle d'homme sous prétexte qu'elle est née avec un pénis, surtout si cette personne trouve son épanouissement dans un rôle différent. Prétendre que sexe et genre doivent obligatoirement être 'synchrones' relève plus du diktat social et de la répression (les exceptions à la règle sociale sont persécutées) que de la théorie scientifique. Beaucoup adhèrent à l'idéologie binaire non parce qu'elle serait justifiée, mais parce qu'ils n'ont pas pris la peine, ni peut-être ressenti le besoin, de la remettre en question et parce qu'ils ont été conditionnés (éducation, environnement social) par elle.
Définition : Le genre et le sexe sont deux entités indépendantes. La biologie nous donne soit un sexe mâle, soit un sexe femelle. Mais une femelle peut se sentir homme (c'est-à-dire posséder un genre masculin) ou un mâle se sentir femme. Le genre est en quelque sorte 'le sexe que l'on a dans sa tête'.
Avantages : Cette séparation entre genre et sexe permet à certaines personnes transgenre de se définir. En outre, elle met (en principe) fin à des décennies de 'traitements' par électrochocs et autres procédés destructeurs destinés à forcer les transgenre à accepter le sexe que la biologie leur a attribué.
Inconvénients : Dans les faits, la séparation entre sexe et genre n'est toujours pas socialement ni médicalement acceptée. On encourage toujours les personnes transgenre à mettre en harmonie leur sexe et leur genre en subissant diverses opérations chirurgicales et à ainsi réintégrer une des deux combinaisons socialement 'viables' : l'homme de sexe mâle ou la femme de sexe femelle (ce qui revient d'ailleurs à méconnaître qu'il existe d'autres facteurs que l'apparence du corps, p.ex. sa génétique, qui déterminent son sexe, facteurs qui resteront inchangés à vie). En outre, cette théorie a l'inconvénient de rester binaire : elle n'admet que deux sexes (tant pis pour les intersexué(e)s, que l'on mutile afin de faire entrer de force dans ce moule) et deux genres. Il faut donc toujours choisir son camp : on doit se sentir soit complètement homme soit complètement femme, et surtout pas à cheval entre ces deux constructions sociales. L'idéologie patriarcale est sauve.
Définition : Le genre n'est plus une entité binaire (homme ou femme) mais un spectre qui s'étend de 'très masculin' à 'très féminin' en passant par 'plutôt masculin' ou 'plutôt féminin'.
Avantages : Cette définition décrit mieux la réalité que les définitions précédentes : certains hommes sont plus féminins que d'autres, certaines femmes sont plus masculines que d'autres, et les personnes dites 'intergenre' peuvent même se définir à cheval entre masculinité et féminité.
Inconvénients : Ce modèle est linéaire : il interdit au genre de se définir dans plusieurs dimensions. Une personne qui se sent p.ex. très féminine pour certaines choses et très masculine sous d'autres aspects n'y trouvera pas sa place. En outre, cette définition du genre présuppose qu'il existe un moyen fiable de mesurer le niveau de masculinité (ou de féminité) d'une personne sur une échelle graduée, ce qui est manifestement impossible et reviendrait à savoir sexuer de façon univoque les personnalités complexes et variées des individus.
Définition : Sur une échelle graduée de 'masculin' à 'féminin', on place les différents traits de personnalité d'une personne. P.ex. 'aime le football' sera un point situé plutôt vers le côté 'masculin', tandis que 'pleure en regardant un film sentimental' sera un point situé plutôt vers le côté 'féminin'. Une personne chez qui beaucoup de points sont du coté masculin sera dit de genre masculin. Une personne chez qui beaucoup de points sont du coté féminin sera dite de genre 'féminin'. Chez certaines personnes, on pourra retrouver un nombre significatif de points féminins mais aussi un nombre significatif de points masculins.
Avantages : Les cotés masculins et féminins présents en chacun(e) de nous sont pris en compte simultanément et non plus de façon séparée ni opposée.
Inconvénients : Cette définition du genre suppose que les traits qui constituent la personnalité et l'identité d'une personne sont intrinsèquement sexués. En vertu de quel critère peut-on prétendre que 'aimer le football' est une caractéristique masculine et que 'pleurer devant un film sentimental' est une caractéristique féminine ? La mesure de ces caractéristiques, et donc par extension la définition qu'on donne du genre en se basant sur elles, est fondée sur des stéréotypes. Ces stéréotypes sont eux-mêmes issus d'une généralisation de constatations empiriques (on trouve statistiquement plus d'amateurs de football chez les mâles que chez les femelles). Seulement, la statistique est tout sauf une image fidèle de la réalité vécue et semble totalement inadaptée en tant que critère de base à la définition de la personnalité humaine.
Définition : On dessine, dans un espace à n dimensions, les différents points qui définissent la personnalité et l'identité d'une personne. Chaque dimension correspond à une caractéristique, et n'est liée à aucune notion a priori de féminité ou masculinité. On représente dans l'exemple ci-dessus les deux dimensions correspondant aux caractéristiques 'aimer le football' (en abscisses) et 'pleurer devant un film à sentimental' (émotivité) (en ordonnées). Nous nous restreignons ici à deux caractéristiques afin de simplifier le schéma et les explications, mais ces caractéristiques sont bien sûr extrêmement nombreuses dans la réalité.
Se basant sur l'observation d'une population donnée, notre cerveau partage intuitivement cet espace de données selon un critère de sexe (il est en effet naturellement 'doué' pour ce type de tâches qui permettent d'apprendre des régularités à partir d'exemples). Dans notre exemple représenté ci-dessus, un partage plausible est représenté par la ligne noire pointillée. La population femelle p.ex. est constatée être souvent plus émotive que la population mâle : notre cerveau en déduit et en apprend qu'une personne émotive a une forte probabilité d'être de sexe féminin.
En observant une multitude de traits de personnalité et en opérant une analyse analogue, nous sommes ainsi capables d'estimer, sans connaître son sexe, la probabilité qu'une personne soit de sexe mâle ou femelle. Nous définissons donc ici le genre comme la probabilité estimée d'être d'un sexe donné compte tenu d'un ensemble de traits de personnalité et de la répartition par sexe de ces traits de personnalité dans une population.
Reprenons notre exemple : Robert adore le football et n'est pas du tout émotif. Compte tenu de ces deux observations, et sans connaître son sexe, la probabilité qu'il soit de sexe mâle est élevée. Nous en déduisons que Robert est de genre masculin. Comme Robert est aussi de sexe mâle, il est cisgenre.
Prenons maintenant le cas de Frédéric qui déteste le foot et est très émotif/ve. La probabilité que Frédéric soit de sexe femelle est très élevée. Frédéric est donc de genre féminin. Comme Frédéric est de sexe mâle, Frédéric est transgenre. Si Frédéric a appris (par son environnement social) à évaluer son genre de cette manière et à y accorder une importance, il est fort probable qu'il/elle souffre de la dysphorie entre son genre et son sexe. Dans le cas contraire, il est possible qu'il vive parfaitement bien dans sa peau d'homme.
Remarques : Ici, le genre est intimement lié au sexe, puisque c'est sur des observations par rapport aux 'deux' sexes qu'il se construit. Il n'est alors pas étonnant que dans ce modèle-ci, le genre soit souvent détecté en tant que synchrone avec le sexe. La pensée construite qui dit que le sexe et le genre s'accordent, passe ainsi pour une vérité biologique et devient une norme sociale.
Le partage des traits de personnalité entre les sexes (p.ex. : plus de filles que de garçons préfèrent jouer à la poupée) est amplifié par l'éducation divergente des filles et des garçons. Les différences de comportement observées dans la populations amplifient la ségrégation entre les sexes, ségrégation qui amplifie à son tour ces différences de comportement. La polarisation du genre est donc maintenue et amplifiée par un phénomène social auto-entretenu.
Avantages : Cette définition du genre ne repose pas sur des stéréotypes. Biologiquement plausible, elle constitue une hypothèse sur la construction intuitive du genre.
Inconvénients : Cette théorie est difficile voire impossible à mettre en oeuvre afin de définir le genre d'une personne de manière formelle. Mais en même temps, elle est très facilement et souvent mise en oeuvre afin d'évaluer le genre d'une personne de manière intuitive. Cette définition du genre repose sur des observations variables selon les individus. La notion de genre qui en découle est donc relative : une personne pourrait se définir de genre masculin dans un environnement donné, mais se définirait éventuellement de genre féminin dans un environnement différent. De la même sorte, l'évaluation du genre différera selon l'observateur.
Les traits de personnalité qui constituent l'identité d'une personne ont indubitablement des origines multiples qui se complètent : facteurs génétiques, facteurs hormonaux, éducation, environnement, expériences vécues à différents âges.
C'est l'ensemble de ces caractéristiques, et leur comparaison au reste de la population, qui amènent à tirer intuitivement une conclusion : 'je me sens femme' ou 'je me sens homme'. En cela, le genre a des origines multiples (génétiques, physiologiques et sociales).
Mais la démarche qui consiste à utiliser ses observations de soi et du reste de la population à en tirer la conclusion 'je me sens homme' ou 'je me sens femme' est une démarche sociale. Elle se fonde sur l'observation de comportements d'hommes et de femmes vivant en société et sur l'identification de soi à l'une de ces deux catégories sociales. En cela, le genre n'est rien de plus qu'une construction sociale, réductrice, et biaisée par la vie en société.
Il apparaît que définir le genre est une quête vouée à l'échec, simplement parce que sa définition est une illusion. En outre, chercher à se définir à tout prix comme personne de genre 'féminin' ou 'masculin' peut se révéler dangereux si l'on ne peut pas entrer pas dans l'une de ces deux catégories sociales, comme c'est le cas de certaines personnes intergenre.
Mon conseil est de ne pas chercher à définir la notion de genre, et de simplement trouver ce qui est bon pour vous, c'est-à-dire ce qui fait votre bien-être au quotidien, et la vie qui est acceptable dans votre cas, sans vous soucier de savoir si ce que vous faites et êtes peut être qualifié de masculin ou de féminin.
© Support Transgenre Strasbourg, le 2 décembre 2007